La montée des prix durant l'inflation est-elle une stratégie des entreprises ?

En France, on a tendance à jeter un regard anxieux sur l’inflation. Alors que Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, cherche à minimiser le phénomène, on ne peut ignorer que les prix à la consommation continuent de grimper. D’après l’Insee, ils ont connu une hausse annuelle de 5,9% en avril 2023, contre 5,7% un mois plus tôt. Cette inflation soutenue s’est stabilisée entre 5 et 6,5% depuis le début de 2022, un niveau jamais atteint depuis la crise ukrainienne, les pénuries de matières premières, les bouleversements climatiques et les politiques monétaires non conventionnelles de la Banque centrale européenne (BCE) de la dernière décennie. C’est un cocktail détonnant qui semble justifier cette inflation que Bruno Le Maire présente comme inévitable et indépendante de sa volonté. Mais est-ce vraiment le cas ?

Un examen plus minutieux

En y regardant de plus près, on peut se demander si tout cela est vraiment si simple. Pourquoi, par exemple, les prix des aliments de base, comme les pâtes, ont-ils augmenté de plus de 15% en raison d’une prétendue pénurie de marché ? Les chiffres de l’année passée montrent que les cours du blé dur et du blé tendre ont chuté de plus de 35% depuis juillet 2022. Si une flambée des prix a bien eu lieu entre 2021 et 2022, les prix sont maintenant revenus à des niveaux comparables à ceux de l’après-Covid.

On observe la même tendance du côté de l’énergie. Bruno Le Maire pointe du doigt la guerre en Ukraine comme l’épicentre du choc exogène qui a bouleversé les marchés de l’énergie, entraînant une augmentation des coûts pour les entreprises et une répercussion directe sur les prix. Cependant, depuis le début du conflit en 2022, les gouvernements européens ont mis en œuvre des politiques de sobriété énergétique, réduisant leur consommation et nouant de nouveaux partenariats, notamment avec les pays du Golfe.

Une note de la BCE nous rappelle que « l’inflation globale devrait reculer sensiblement en 2023 […] principalement en raison de l’effet de base baissier dû à la flambée des prix des matières premières énergétiques en 2022 et de la baisse progressive des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité ». Le marché du pétrole brut a d’ailleurs retrouvé un niveau similaire à celui de 2021, inférieur à 75 euros, alors qu’il avait grimpé à 120 euros l’année précédente, en juin 2022. Comment se fait-il alors que l’inflation persiste et reste supérieure à 5% malgré le retour à des niveaux pré-conflit en Ukraine sur la plupart des marchés financiers ?

Le concept de la boucle « prix-profit »

Selon certains spécialistes, la réponse se trouverait dans la boucle « prix-profit ». On pourrait penser que les entreprises, face à l’augmentation des coûts des matières premières et de l’énergie, répercutent simplement cette hausse sur le prix de vente de leurs produits. Leur marge resterait alors la même : les coûts augmentent, les prix augmentent, le bénéfice reste le même. Cela semble logique d’un point de vue comptable.

Cependant, une note de conjoncture, co-rédigée par l’économiste Éric Berr, professeur à l’Université de Bordeaux, révèle que « le taux de marge des entreprises est en hausse : 32,4 % au quatrième trimestre 2022, contre 31,9% au troisième trimestre ». Dans tous les secteurs, de l’industrie manufacturière aux services marchands, en passant par les transports et l’énergie, les taux de marge ont commencé à augmenter au troisième trimestre 2022. Ils avaient effectivement baissé au début de 2022, à cause des perturbations sur les marchés.

L’augmentation des profits dans l’industrie agroalimentaire

L’augmentation des prix est particulièrement flagrante dans l’industrie agroalimentaire, où les prix ont grimpé en moyenne de 15%. Le taux de marge, qui était en chute libre au premier trimestre 2022, a augmenté de 14 points de pourcentage, atteignant 44% au quatrième trimestre 2022. Selon la note, la principale contribution à la hausse des prix alimentaires à partir du second semestre 2022 proviendrait des profits (51%), contre 47% pour les consommations intermédiaires et 2% après la hausse des salaires et des impôts. Autrement dit, les prix ne montent pas à cause du conflit russo-ukrainien ou de la pénurie sur les marchés des matières premières : ils augmentent essentiellement pour nourrir les profits des entreprises.

Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a d’ailleurs souligné lors d’une conférence de presse en avril que « beaucoup d’entreprises ont pu accroître leurs marges dans des secteurs ayant subi les restrictions de l’offre et la résurgence de la demande ». Cependant, en France, aucune mesure n’a été prise pour limiter ce phénomène et surveiller la boucle prix-profit. Les profits exceptionnels ne sont pas taxés et aucun contrôle sur les prix n’est imposé… Car le ministre de l’Économie continue de croire que l’inflation s’explique par le conflit en Ukraine.

Alors que l’on accuse souvent l’inflation d’être la source de tous nos maux, peut-être devrions-nous prendre du recul et examiner de plus près les véritables moteurs de cette hausse des prix. L’inflation est-elle réellement la bête noire que l’on nous présente, ou est-elle simplement le résultat de stratégies d’entreprise visant à augmenter leurs marges à tout prix ?

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